La CJUE sur le règlement Bruxelles I bis

La Cour de justice a rendu le 25 avril 2024 sa décision dans les affaires jointes C‑345/22 à C‑347/22 (Maersk) qui portent sur le règlement Bruxelles I bis.

« 1) L’article 25, paragraphe 1, du règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que :

l’opposabilité d’une clause attributive de juridiction au tiers porteur du connaissement dans lequel cette clause est insérée n’est pas régie par le droit de l’État membre dont une ou plusieurs juridictions sont désignées par cette clause. Ladite clause est opposable à ce tiers si, en acquérant ce connaissement, il est subrogé dans l’intégralité des droits et des obligations de l’une des parties initiales au contrat, ce qu’il convient d’apprécier conformément au droit national applicable au fond, tel que déterminé en application des règles de droit international privé de l’État membre dont relève la juridiction saisie du litige.

2) L’article 25, paragraphe 1, du règlement n°1215/2012 doit être interprété en ce sens que :

il s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle un tiers à un contrat de transport de marchandises conclu entre un transporteur et un chargeur, lequel tiers acquiert le connaissement consignant ce contrat et devient ainsi tiers porteur de ce connaissement, est subrogé dans l’intégralité des droits et des obligations de ce chargeur, à l’exception de ceux découlant d’une clause attributive de juridiction insérée dans ledit connaissement, cette clause étant uniquement opposable à ce tiers s’il l’a négociée individuellement et séparément ».

Source : https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=285187&pageIndex=0&doclang=fr&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=2444648

L’AG MME LAILA MEDINA sur les règlements Bruxelles I bis et Insolvabilité

L’avocate générale Mme LAILA MEDINA a présenté ce jour (18 avril 2024) ses conclusions dans l’affaire C‑394/22 (Oilchart International) qui porte sur les règlements Bruxelles I bis et Insolvabilité (règlement (CE) n°1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d’insolvabilité).

Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

10. Le 21 octobre 2014, Oilchart a livré des soutes dans le port de Sluiskil (Pays-Bas) au navire de haute mer MS Evita K, qui appartenait à Sharsburg Navigation SA. Le propriétaire de ce navire avait commandé ces soutes, par l’intermédiaire de son agent Orient Shipping Rotterdam, à la société danoise OW Bunker & Trading A/S (ci-après « OWB A/S »), laquelle avait ensuite transmis cette commande à OWB NL, une entreprise qui appartenait au même groupe. OWB NL avait, à son tour, acquis les soutes auprès d’Oilchart.

11. Le 21 octobre 2014, OWB A/S a adressé à Orient Shipping Rotterdam une facture d’un montant de 117 179 dollars des États-Unis (USD).

12. Le 22 octobre 2014, Oilchart a adressé à OWB NL une facture de 116 471,45 USD au titre de la livraison des soutes (ci-après la « facture litigieuse »). Le 21 novembre 2014, OWB NL a été déclarée en faillite par le rechtbank te Rotterdam (tribunal de Rotterdam, Pays-Bas). Par conséquent, la facture litigieuse est restée impayée. Sur la base de cette facture, Oilchart a produit sa créance pour vérification auprès des curateurs d’OWB NL.

13. À la suite de la faillite d’OWB NL, Oilchart a été confrontée à une série de factures impayées qu’elle avait adressées à OWB NL (dont la facture litigieuse) et a obtenu la saisie conservatoire de certains navires de haute mer auxquels elle avait livré des soutes. Afin d’obtenir la mainlevée de ces saisies conservatoires, les propriétaires des navires ou les associations d’assurance mutuelle (ci-après les « P&I clubs ») ont constitué des garanties en faveur d’Oilchart à concurrence des montants que celle-ci avait facturés à OWB NL. Ces garanties précisaient qu’elles pouvaient être sollicitées sur la base d’une décision judiciaire ou d’une sentence arbitrale condamnant en Belgique soit OWB NL, soit le propriétaire du navire.

14. Le 11 mars 2015, Oilchart a assigné OWB NL devant le rechtbank van koophandel Antwerpen (tribunal de commerce d’Anvers, Belgique). ING Bank NV (ci-après « ING »), en tant que créancier d’OWB NL (6), est intervenue volontairement dans cette procédure. Dans sa requête, Oilchart a présenté sa demande comme étant de nature commerciale et visant à obtenir le recouvrement d’une facture impayée. Elle a également formé une demande incidente à l’encontre d’ING qui, à son tour, a formé une demande reconventionnelle. Par jugement du 15 mars 2017, le rechtbank van koophandel Antwerpen (tribunal de commerce d’Anvers) s’est déclaré compétent pour statuer sur l’action d’Oilchart, mais a déclaré irrecevable la demande de paiement au motif que, en vertu de la NFW, Oilchart ne pouvait introduire une demande relative à des créances qu’auprès du curateur de la procédure d’insolvabilité.

15. Le 16 mai 2017, Oilchart a interjeté appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi, le hof van beroep te Antwerpen (cour d’appel d’Anvers). Cette juridiction a estimé qu’elle était tenue d’examiner sa compétence internationale, conformément à l’article 28, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis.

16. Dans ce contexte, la juridiction de renvoi, en citant la jurisprudence de la Cour, émet des doutes quant à la nécessité de déterminer si l’action intentée par Oilchart contre OWB NL est fondée sur les règles communes du droit civil et commercial au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis ou si elle est soumise aux règles spécifiques aux procédures d’insolvabilité. En outre, cette juridiction se demande si l’article 3, paragraphe 1, du règlement relatif aux procédures d’insolvabilité s’oppose à une disposition nationale qui permet à un créancier de saisir les juridictions d’un État membre d’une action en paiement d’une créance qu’il a déjà déclarée dans la masse de l’insolvabilité dans un autre État membre.

17. La juridiction de renvoi estime que la nature exacte de l’action et de la possibilité d’intenter une telle action à l’encontre de la société insolvable ne peut être appréciée qu’en appliquant les règles dérogatoires propres aux procédures d’insolvabilité. Toutefois, cette juridiction estime que la détermination de la compétence internationale devrait précéder l’application des règles dérogatoires propres au droit néerlandais de la faillite, et non être opérée en application de ces règles.

18. Dans ces conditions, le hof van beroep te Antwerpen (cour d’appel d’Anvers) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« (a) L’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement [Bruxelles I bis] lu conjointement avec l’article 3, paragraphe 1, du règlement [relatif aux procédures d’insolvabilité] doit-il être interprété en ce sens que relève également des notions de “faillites, concordats et autres procédures analogues” figurant à l’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement [Bruxelles I bis] une procédure dans laquelle l’action est présentée dans la citation comme une simple créance client, sans faire état de la faillite antérieurement ouverte du défendeur, alors que le véritable fondement juridique de cette action procède des dispositions dérogatoires de [la NFW] et dans laquelle :

–        il y a lieu de décider si une telle action doit être considérée comme une action vérifiable (article 26 lu conjointement avec l’article 110 de la NFW) ou comme une action non vérifiable (article 25, paragraphe 2, de la NFW) ;

–        la question de savoir si ces deux actions peuvent être intentées parallèlement et si une action ne semble pas exclure l’autre, compte tenu des conséquences juridiques spécifiques découlant de chacune d’elles (notamment en ce qui concerne la possibilité de solliciter le payement d’une garantie bancaire émise après la faillite), semble être tranchée selon les règles propres au droit néerlandais de la faillite ?

et, en outre,

(b) Les dispositions de l’article 25, paragraphe 2, de [la NFW] peuvent‑elles être considérées comme conformes à l’article 3, paragraphe 1, du règlement [relatif aux procédures d’insolvabilité], dans la mesure où cette disposition législative permettrait d’intenter une telle action (article 25, paragraphe 2, de la NFW) devant le juge d’un autre État membre au lieu de l’intenter devant le juge de l’insolvabilité de l’État membre d’ouverture de la faillite ? ».

Réponse suggérée :

1) L’article 1er, paragraphe 1 et paragraphe 2, sous b), du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, et l’article 3, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d’insolvabilité, doivent être interprétés en ce sens que :

lorsqu’une juridiction d’un État membre est saisie d’une procédure d’insolvabilité portant sur une demande relative à une obligation contractuelle de payer pour une livraison de biens et que cette même demande fait l’objet d’une action contre une société insolvable au titre de cette procédure d’insolvabilité, cette action relève du champ d’application du règlement no 1346/2000.

2) L’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1346/2000 et le principe de la compétence exclusive, doivent être interprétées en ce sens que :

ils s’opposent à une réglementation ou à une pratique nationale qui a pour effet de contourner la compétence exclusive d’une juridiction d’un État membre saisie en premier lieu d’une procédure d’insolvabilité portant sur une demande relative à une obligation contractuelle de payer pour une livraison de biens qui relève de la masse de l’insolvabilité.

Source : https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=284897&pageIndex=0&doclang=fr&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=3505059

La CJUE sur le règlement Insolvabilité

La Cour de justice a rendu ce jour (18 avril 2024) sa décision dans les affaires jointes C‑765/22 et C‑772/22 (Luis Carlos e.a.) qui portent sur le règlement (UE) 2015/848 du 20 mai 2015 relatif aux procédures d’insolvabilité (refonte).

« 1) Les articles 7 et 35 du règlement (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 2015, relatif aux procédures d’insolvabilité, lus en combinaison avec le considérant 72 de ce règlement, doivent être interprétés en ce sens que :

la loi de l’État d’ouverture de la procédure d’insolvabilité secondaire s’applique au sort des seules créances nées après l’ouverture de cette procédure, et non au sort des créances nées entre l’ouverture de la procédure d’insolvabilité principale et celle de la procédure d’insolvabilité secondaire.

2) L’article 3, paragraphe 2, et l’article 34 du règlement 2015/848 doivent être interprétés en ce sens que :

la masse des actifs situés dans l’État d’ouverture de la procédure d’insolvabilité secondaire est uniquement constituée des actifs qui se trouvent sur le territoire de cet État membre au moment de l’ouverture de cette procédure.

3) L’article 21, paragraphe 1, du règlement 2015/848 doit être interprété en ce sens que :

le praticien de l’insolvabilité de la procédure d’insolvabilité principale peut déplacer les actifs du débiteur hors du territoire d’un État membre autre que celui de la procédure d’insolvabilité principale alors qu’il a connaissance de l’existence, d’une part, de créances de travail détenues par des créanciers locaux sur le territoire de cet autre État membre, reconnues par des décisions de justice, et, d’autre part, d’une saisie conservatoire d’actifs décidée par une juridiction du travail de ce dernier État membre.

4) L’article 21, paragraphe 2, du règlement 2015/848 doit être interprété en ce sens que :

le praticien de l’insolvabilité de la procédure d’insolvabilité secondaire peut exercer une action révocatoire contre un acte qui a été accompli par le praticien de l’insolvabilité de la procédure d’insolvabilité principale ».

Source : https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=284887&pageIndex=0&doclang=FR&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=3505059

L’AG M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA sur le règlement Successions

L’avocat général M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA a présenté le 11 avril 2024 ses conclusions dans l’affaire C‑187/23 (Albausy) qui porte sur le règlement Successions.

Les faits, la procédure et les questions préjudicielles

14. P. T., ressortissant français, domicilié en dernier lieu en Allemagne, est décédé le 15 septembre 2021.

15. Le 23 novembre 2021, E. V. G.-T., l’épouse de P. T. à la date du décès de ce dernier, a demandé à l’Amtsgericht Lörrach (tribunal de district de Lörrach, Allemagne) un certificat successoral européen la désignant comme unique héritière.

16. À cette fin, elle a présenté un testament, signé à la main par les deux époux, dont le contenu était le suivant :

« Testament conjonctif

Nous, soussignés E. G.-T., née le […], et P. T., né le […], mariés et domiciliés ensemble […], déclarons :

1) Nous ne sommes pas liés par des dispositions successorales antérieures et n’avons pris aucune disposition de cette nature. À titre préventif, nous révoquons toutes les dispositions que nous aurions prises jusqu’à présent unilatéralement ou conjointement.

2) Nous nous désignons mutuellement comme uniques héritiers. Cette désignation est réciproque et contraignante. Au surplus, le dernier survivant n’est pas limité par cette disposition. Il lui est loisible d’organiser lui-même sa succession, et ce même avant le décès du premier mourant, mais uniquement s’il devient le dernier survivant.

3) Nous sommes tous deux domiciliés en Allemagne et souhaitons l’application du droit allemand des successions, que nous choisissons et désignons comme droit applicable dans la mesure où nous sommes autorisés à le faire. Cette désignation est réciproque.

Fait à R., le 23 juillet 2020. E. G.-T. La présente déclaration reflète également ma volonté. P.T. »

17. Il est constant qu’il existait un testament plus ancien, écrit à la main et signé par le testateur, qui disposait :

« Je, soussigné P. M. J. T, né le […] à A., domicilié à […] Espagne, révoque toutes les dispositions à cause de mort antérieures. Je lègue la quotité disponible de ma succession à mes deux petits-enfants, fils de P., N. A. J. T., né le […], et J. N. J. T., né le […]. Ils se la partageront à parts égales. Je désigne mon fils P., et seulement lui, pour organiser mes funérailles avec une messe grégorienne et mon inhumation à […] en Espagne. Fait à A., le 31 mai 2001. La présente déclaration constitue mon testament. P.T. »

18. E. V. G.-T. se considère comme l’unique héritière de P. T. en vertu du testament du 23 juillet 2020. En revanche, le fils et les petits‑enfants de P.T. estiment que le testament n’est pas valable, puisque le testateur n’était pas en mesure de l’établir au moment de sa rédaction et que la signature n’est pas la sienne.

19. Selon les affirmations de la juridiction de renvoi, le testateur était encore en mesure d’établir un testament, et sa signature est apposée sur celui qui a été présenté.

20. Dans ce contexte, l’Amtsgericht Lörrach (tribunal de district de Lörrach) estime que la délivrance du certificat dépend de l’interprétation du règlement no650/2012, raison pour laquelle il a sursis à statuer et saisi la Cour des questions préjudicielles suivantes :

1) L’article 67, paragraphe 1, second alinéa, sous a), du règlement no650/2012 doit-il être interprété en ce sens qu’il vise aussi les contestations soulevées précisément au cours de la procédure de délivrance du certificat successoral européen et que la juridiction n’est pas en droit d’examiner ces contestations, de sorte que cet article ne vise pas seulement les contestations soulevées dans le cadre d’une autre procédure ?

2) En cas de réponse affirmative à la [première] question, l’article 67, paragraphe 1, second alinéa, sous a), du règlement no650/2012 doit-il être interprété en ce sens qu’un certificat successoral européen ne peut pas être délivré, même dans le cas où des contestations auraient été soulevées au cours de la procédure de délivrance dudit certificat et qu’elles auraient toutefois déjà été examinées dans le cadre de la procédure relative à un certificat d’hérédité prévue par le droit allemand ?

3) En cas de réponse affirmative à la [première] question, l’article 67, paragraphe 1, second alinéa, sous a), du règlement no650/2012 doit-il être interprété en ce sens qu’il vise toute contestation, même dans le cas où elle serait soulevée sans être suffisamment étayée et où il n’y aurait pas lieu de recueillir une preuve formelle à cet égard ?

4) En cas de réponse négative à la [première] question, sous quelle forme la juridiction doit-elle énoncer les motifs qui l’ont amenée à rejeter les contestations et à délivrer le certificat successoral européen ?

Réponse suggérée :

L’avocat général M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA propose à la Cour de déclarer irrecevable la demande de décision préjudicielle introduite par l’Amtsgericht Lörrach (tribunal de district de Lörrach, Allemagne).

À titre subsidiaire, il propose de répondre à cette juridiction dans les termes suivants : « L’article 67, paragraphe 1, second alinéa, sous a), du règlement (UE) no650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen, doit être interprété en ce sens que :

L’autorité appelée à délivrer un certificat successoral européen doit évaluer les contestations soulevées au cours de la procédure de délivrance par les personnes intéressées à la succession afin d’établir les éléments à certifier.

Le certificat successoral européen ne peut pas être délivré en incluant des éléments qui s’avèrent non conformes à une décision antérieure définitive.

Le certificat successoral européen ne peut pas être délivré lorsqu’un élément essentiel de la succession elle-même, tel que la validité d’un testament, a été contesté dans la procédure conduisant à sa délivrance, si cette contestation présente un minimum de fondement au regard de la loi applicable.

L’autorité émettrice n’est pas tenue d’indiquer dans le certificat successoral européen les raisons pour lesquelles elle l’a délivré ».

Source : https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=9F8D175E6DFAFE4590DB406EED243AAC?text=&docid=284664&pageIndex=0&doclang=fr&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=2903394

La CJUE sur le règlement Bruxelles I bis

La Cour de justice a rendu le 11 avril 2024 sa décision dans l’affaire C‑183/23 (Credit Agricole Bank Polska S.A. contre AB) qui porte sur le règlement Bruxelles I bis.

« L’article 6, paragraphe 1, du règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que :

lorsque le dernier domicile connu d’un défendeur, ressortissant d’un État tiers et ayant la qualité de consommateur, se trouve sur le territoire de l’État membre de la juridiction saisie et que celle-ci ne parvient pas à identifier le domicile actuel de ce défendeur ni ne dispose d’indices probants lui permettant de conclure que celui-ci est effectivement domicilié sur le territoire d’un autre État membre ou en dehors du territoire de l’Union européenne, la compétence pour connaître de ce litige est déterminée non pas par la loi de l’État membre dont relève cette juridiction, mais par l’article 18, paragraphe 2, de ce règlement, qui donne compétence pour connaître d’un tel litige à la juridiction dans le ressort de laquelle se trouve le dernier domicile connu dudit défendeur ».

Source : https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=9F8D175E6DFAFE4590DB406EED243AAC?text=&docid=284652&pageIndex=0&doclang=fr&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=2903394

La CJUE sur le règlement Bruxelles I bis

La Cour de justice a rendu le 21 mars 2024 sa décision dans l’affaire C‑90/22 (Gjensidige) qui porte sur le règlement Bruxelles I bis.

« L’article 45, paragraphe 1, sous a), et sous e), ii), du règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que :

il ne permet pas à une juridiction d’un État membre de refuser la reconnaissance d’une décision d’une juridiction d’un autre État membre au motif que cette dernière juridiction s’est déclarée compétente pour statuer sur une action introduite au titre d’un contrat de transport international, en méconnaissance d’une convention attributive de juridiction, au sens de l’article 25 de ce règlement, faisant partie de ce contrat ».

Source : https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=EEF65A76C25B74375071C0449709F9B6?text=&docid=284084&pageIndex=0&doclang=fr&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=5575648

L’AG M. MACIEJ SZPUNAR sur le règlement Rome II

L’avocat général M. MACIEJ SZPUNAR a présenté le 14 mars 2024 ses conclusions dans l’affaire C‑86/23 (E.N.I., Y.K.I. contre HUK-COBURG-Allgemeine Versicherung AG) qui porte sur le règlement Rome II.

Les faits du litige au principal, la question préjudicielle et la procédure devant la Cour.

12. Le 27 juillet 2014, la fille de E.N.I. et Y.K.I., les requérants au principal, ressortissants bulgares, est décédée lors d’un accident de la circulation routière survenu en Allemagne. L’auteur de l’accident était assuré au titre de l’assurance obligatoire de la responsabilité civile auprès de HUK-COBURG-Allgemeine Versicherung AG (ci-après « HUK-COBURG »), une compagnie d’assurances établie en Allemagne.

13. Le 25 juillet 2017, les requérants au principal ont introduit une action contre HUK-COBURG devant le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia, Bulgarie) tendant au versement de 250 000 leva bulgares (BGN) (environ 125 000 euros) à chacun d’entre eux à titre de réparation du préjudice immatériel causé par le décès de leur fille.

14. Le 27 septembre 2017, HUK-COBURG a versé à chacun des parents la somme de 2 500 euros à titre de réparation du préjudice causé par le décès de leur fille.

15. Par jugement du 23 décembre 2019, le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia) a partiellement fait droit à la demande en accordant à chacun des parents une indemnité d’un montant de 100 000 BGN (environ 50 000 euros), dont a été déduite la somme de 2 500 euros déjà versée par l’assureur.

16. Ce tribunal a constaté que le droit applicable était le droit allemand de la responsabilité civile, qui ne prévoirait la réparation du préjudice immatériel subi par des victimes indirectes tels que les demandeurs au principal que dans des circonstances exceptionnelles, à savoir lorsque la douleur et la souffrance ont entraîné une atteinte à la santé de la victime indirecte. Cette juridiction a estimé que la douleur et la souffrance subies par les parents devaient donner lieu à une indemnisation, notamment en raison du grave choc émotionnel qui aurait entraîné une réaction de stress aiguë et parce que, pendant environ un an après le décès de leur fille, ils ont souffert de dépression, d’anxiété, de tension, d’instabilité émotionnelle, de troubles du sommeil, d’une diminution de l’appétit et d’une aliénation émotionnelle. Pour motiver le montant accordé, le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia) a indiqué qu’il existait un principe de réparation équitable du préjudice immatériel tant en droit bulgare, en vertu de l’article 52 du ZZD, qu’en droit allemand, en vertu de l’article 253, paragraphe 2, du BGB. Les critères de détermination de l’indemnité ne seraient cependant pas fixés par ces lois nationales, mais découleraient de la jurisprudence de chacun des deux pays.

17. Le Sofiyski Apelativen sad (Cour d’appel de Sofia, Bulgarie) a mis à néant le jugement de la juridiction de première instance. Cette cour a rejeté l’action des parents dans son intégralité, estimant qu’ils n’avaient pas démontré que la douleur et les souffrances avaient entraîné des dommages pathologiques pour leur santé, ce qui, en vertu du droit allemand applicable, constituerait une condition de la réparation d’un préjudice immatériel. En outre, elle a jugé non fondé leur argument selon lequel l’article 52 du ZZD devrait être appliqué, en vertu de l’article 16 du règlement Rome II, au lieu du droit allemand désigné en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement. Selon elle, les montants déjà versés par HUK-COBURG ne constitueraient pas une reconnaissance par l’assureur des prétentions des parents. Les parents n’auraient pas droit à cette somme qui, du fait de son montant, correspondrait à une « petite indemnisation » pour préjudice immatériel, prévue à l’article 253, paragraphe 2, du BGB.

18. Les parents ont formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt devant le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation), la juridiction de renvoi.

19. Cette juridiction observe, tout d’abord, que la réglementation allemande applicable en l’espèce en vertu de l’article 4 du règlement Rome II, à savoir l’article 253, paragraphe 2, et l’article 823, paragraphe 1, du BGB, lus en combinaison avec l’article 115, paragraphe 1, premier alinéa, point 1, de la loi sur le contrat d’assurance, est identique à celle en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt HUK-COBURG-Allgemeine Versicherung, qui concernait le même accident de la circulation que celui en cause en l’espèce.

20. Ensuite, le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation) relève que, dans cet arrêt, la Cour a considéré, d’une part, que la réglementation allemande en cause relevait du droit national matériel de la responsabilité civile, auquel renvoie la directive (UE) 2009/103, et prévoyait un critère objectif permettant d’identifier le préjudice immatériel susceptible de donner lieu à indemnisation d’un membre de la famille proche de la victime d’un accident de la circulation. D’autre part, la Cour a considéré que la directive 2009/103 ne s’opposait pas à une réglementation nationale qui fixe des critères contraignants pour la détermination des préjudices immatériels susceptibles d’être réparés.

21. Enfin, la juridiction de renvoi précise que, contrairement à la réglementation allemande en cause en l’espèce, qui soumet le droit à réparation du préjudice immatériel à trois conditions, à savoir que la victime ait subi une atteinte à sa propre santé, qu’elle soit un membre de la famille proche de la victime directe et qu’il existe une relation causale entre la faute commise par le responsable de l’accident et cette atteinte, l’article 52 du ZZD prévoit que la réparation du préjudice immatériel est déterminée par la juridiction en équité. Selon elle, il découle d’une jurisprudence contraignante du Varhoven sad (Cour suprême, Bulgarie) et du Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation) que, en droit bulgare, toutes les douleurs morales et souffrances subies par les parents en raison du décès de leur enfant par suite d’un accident de la circulation causé par un acte délictuel ou quasi délictuel sont susceptibles de faire l’objet d’une indemnisation, sans qu’il soit nécessaire que le préjudice ait entraîné indirectement un dommage pathologique pour la santé de la victime. Elle indique que le montant des dommages-intérêts dépend des circonstances caractérisant le cas d’espèce, le montant habituel accordé pour préjudice immatériel à un parent pour le décès d’un enfant dans un accident de la circulation survenu en 2014 étant d’environ 120 000 BGN (environ 61 000 euros), alors que le montant maximal accordé en droit allemand serait d’environ 5 000 euros. Selon elle, à supposer que le grief des parents doive être accueilli et qu’ils aient apporté la preuve d’un dommage pathologique, le montant maximal à verser serait de 5 000 euros.

22. La juridiction de renvoi, faisant référence à l’arrêt Da Silva Martins dans lequel la Cour a considéré qu’une juridiction nationale doit déterminer, sur la base d’une analyse circonstanciée, si une disposition nationale revêt une importance telle dans l’ordre juridique national qu’elle justifie de s’écarter de la loi applicable, désignée en application de l’article 4 du règlement Rome II, se demande si l’article 52 du ZZD peut être considéré comme une telle disposition, au motif que le principe d’équité est un principe fondamental du droit bulgare et fait partie de l’ordre public de l’État. Elle indique que la jurisprudence nationale est divergente sur cette question.

23. C’est dans ces conditions que le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation) a, par décision du 7 février 2023, parvenue à la Cour le 15 février 2023, décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 16 du [règlement Rome II] doit-il être interprété en ce sens qu’une disposition de droit national, telle que celle en cause au principal, qui prévoit l’application d’un principe fondamental du droit d’un État membre, tel que le principe d’équité, pour déterminer l’indemnisation du préjudice immatériel en cas de décès de proches survenu à cause d’un acte délictuel ou quasi délictuel, peut être considérée comme une disposition impérative dérogatoire ? ».

Réponse suggérée :

« L’article 16 du règlement (CE) n°864/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 11 juillet 2007, sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« Rome II ») doit être interprété en ce sens que :

il s’oppose à ce qu’une disposition nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit, en tant que critère pour déterminer l’indemnisation du préjudice immatériel subi par les membres de la famille proche d’une personne décédée lors d’un accident de la circulation routière, l’application d’un principe fondamental du droit d’un État membre, tel que le principe d’équité, puisse être considérée comme une disposition impérative dérogatoire, au sens de cet article, à moins que la juridiction saisie constate, sur la base de l’existence de liens suffisamment étroits avec le pays du for et d’une analyse circonstanciée des termes, de l’économie générale, des objectifs ainsi que du contexte de l’adoption de cette disposition, qu’elle revêt une importance telle dans l’ordre juridique national qu’elle justifie de s’écarter de la loi applicable désignée en application de l’article 4 de ce règlement ».

Source : https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=7D4D42AB35AFBC2C4B3F0D5A885B6EF8?text=&docid=283842&pageIndex=0&doclang=FR&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=1668263

L’AG M. NICHOLAS EMILIOU sur le règlement Bruxelles I bis

L’avocat général M. NICHOLAS EMILIOU a présenté le 7 mars 2024 ses conclusions dans l’affaire C‑774/22 (JX contre FTI Touristik GmbH) qui porte sur le règlement Bruxelles I bis.

Les faits, la procédure au principal et la question préjudicielle

  1. JX est un particulier domicilié à Nuremberg (Allemagne). Le 15 décembre 2021, il a conclu un contrat de voyage à forfait avec FTI Touristik GmbH (ci-après « FTI »), un organisateur de voyages établi à Munich (Allemagne), par l’intermédiaire d’une agence de voyages établie à Nuremberg, en vue d’un voyage à l’étranger.
  2. Ultérieurement, JX a engagé une procédure à l’encontre de FTI devant l’Amtsgericht Nürnberg (tribunal de district de Nuremberg). JX soutient qu’il n’a pas été correctement informé des conditions applicables en matière d’entrée et de visas dans le pays en question et réclame des dommages et intérêts d’un montant de 1 499,86 euros.
  3. JX a fait valoir que la juridiction saisie, en tant que juridiction du lieu où il est domicilié, a une compétence tant internationale que territoriale pour connaître de sa demande sur le fondement de l’article 18, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis. En réponse, FTI a soutenu que cette juridiction n’a pas de compétence territoriale et doit rejeter la demande pour ce motif. Les règles dudit règlement ne s’appliquent pas aux situations purement internes. Le litige en question pourrait être qualifié comme tel, puisque les deux parties sont domiciliées dans le même État membre. Selon FTI, les règles de la ZPO sont applicables à la place et confèrent une compétence à d’autres juridictions.
  4. C’est dans ces circonstances que l’Amtsgericht Nürnberg (tribunal de district de Nuremberg) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 18, paragraphe 1, [du règlement Bruxelles I bis] doit-il être interprété en ce sens qu[’]il régit non seulement la compétence internationale, mais contient également une règle concernant la compétence territoriale des tribunaux nationaux en matière de contrat de voyage, dont le respect s’impose au tribunal saisi, lorsque le consommateur en tant que voyageur et son cocontractant, l’organisateur de voyages, sont tous les deux domiciliés dans le même État membre alors que la destination du voyage ne se situe pas dans cet État membre mais à l’étranger (les “fausses situations internes”), avec pour conséquence que, en complément des règles nationales de compétence, le consommateur peut faire valoir devant le tribunal de son domicile des droits contractuels à l’encontre de l’organisateur de voyages ? »

Réponse suggérée :

« Les dispositions combinées de l’article 1er, paragraphe 1, et de l’article 18, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doivent être interprétées en ce sens que :

la règle de compétence en faveur de la juridiction du lieu où le consommateur est domicilié, prévue par la seconde de ces dispositions, est applicable à l’action intentée par un consommateur domicilié sur le territoire d’un État membre à l’encontre d’un organisateur de voyages domicilié sur le territoire du même État, concernant un contrat de voyage à forfait conclu en vue d’un voyage à destination d’un pays étranger. Cette règle confère à cette juridiction une compétence tant internationale que territoriale, sans référence aux règles de répartition de la compétence territoriale en vigueur dans cet État membre ».

Source : https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=EFA41901BF9CFBB4F5DEB6AA232D10C4?text=&docid=283544&pageIndex=0&doclang=FR&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=20478

La CJUE sur la directive 93/13

La Cour de justice a rendu le 29 février 2024 sa décision dans l’affaire C‑724/22 (Investcapital Ltd contre G.H.R.) qui porte sur la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs.

« 1) L’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lu à la lumière du principe d’effectivité, doit être interprété en ce sens que :

il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui, en raison de la forclusion, ne permet pas au juge saisi de l’exécution d’une injonction de payer de contrôler, d’office ou à la demande du consommateur, le caractère éventuellement abusif des clauses contenues dans un contrat de crédit conclu entre un professionnel et un consommateur, lorsqu’un tel contrôle a déjà été effectué par un juge au stade de la procédure d’injonction de payer, sous réserve que ce juge ait identifié, dans sa décision, les clauses ayant fait l’objet de ce contrôle, qu’il ait exposé, même sommairement, les raisons pour lesquelles ces clauses étaient dépourvues de caractère abusif et qu’il ait indiqué que, en l’absence d’exercice, dans le délai imparti, des voies de recours prévues par le droit national contre cette décision, le consommateur sera forclos à faire valoir le caractère éventuellement abusif desdites clauses.

2) L’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lu à la lumière du principe d’effectivité, doit être interprété en ce sens que :

il s’oppose à une réglementation nationale qui ne permet pas au juge saisi de l’exécution d’une injonction de payer d’adopter d’office des mesures d’instruction afin d’établir les éléments de fait et de droit nécessaires en vue de contrôler le caractère éventuellement abusif des clauses contenues dans un contrat de crédit conclu entre un professionnel et un consommateur, lorsque le contrôle effectué par le juge compétent au stade de la procédure d’injonction de payer ne répond pas aux exigences du principe d’effectivité s’agissant de cette directive ».

Source : https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=283291&pageIndex=0&doclang=fr&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=22826

L’AG M. NICHOLAS EMILIOU sur le règlement Bruxelles I bis

L’avocat général M. NICHOLAS EMILIOU a présenté le 22 février 2024 ses conclusions dans l’affaire C‑339/22 (BSH Hausgeräte GmbH contre Electrolux AB) qui porte sur le règlement Bruxelles I bis.

Les faits, le litige et les questions préjudicielles.

9. BSH Hausgeräte GmbH (ci-après « BSH ») est titulaire du brevet européen EP 1 434 512, protégeant une invention dans le domaine des aspirateurs, délivré pour (et, par conséquent, validé en) Autriche, en Allemagne, en Espagne, en France, en Grèce, en Italie, aux Pays-Bas, en Suède, en Turquie et au Royaume-Uni.

10. Le 3 février 2020, BSH a intenté une action contre Aktiebolaget Electrolux (ci-après « Electrolux »), une société de droit suédois, devant le Patent- och marknadsdomstolen (tribunal de la propriété industrielle et de commerce, Suède). Cette action est fondée sur la prétendue contrefaçon par Electrolux du brevet EP 1 434 512 dans les différents États pour lesquels il avait été délivré. Dans ce contexte, BSH cherche à obtenir, entre autres, une ordonnance interdisant à Electrolux de continuer à utiliser l’invention brevetée dans tous ces États, ainsi qu’une indemnisation pour le dommage causé par cette utilisation illicite.

11. Dans son mémoire en défense, Electrolux a fait valoir que le Patent- och marknadsdomstolen (tribunal de la propriété industrielle et de commerce) devrait rejeter cette action dans la mesure où elle concerne les parties allemande, autrichienne, britannique, espagnole, française, grecque, italienne, néerlandaise et turque du brevet EP 1 434 512 (ci-après les « brevets étrangers »). À cet égard, Electrolux a invoqué, entre autres, l’invalidité des brevets étrangers.

12. En outre, Electrolux a fait valoir que, à la lumière de ce moyen de défense, les juridictions suédoises ne sont pas compétentes pour connaître de la procédure en contrefaçon dans la mesure où les brevets étrangers sont concernés. À cet égard, la procédure en contrefaçon devrait être considérée comme étant « en matière de (…) validité des brevets » au sens de l’article 24, point 4, du règlement Bruxelles I bis et, en vertu de cette disposition, les juridictions des différents États membres dans lesquels ces brevets ont été validés sont seules compétentes pour connaître de l’affaire dans la mesure où ‘leur’ brevet est concerné.

13. En réponse, BSH a fait valoir que les juridictions suédoises sont compétentes pour connaître de la procédure en contrefaçon en vertu de l’article 4, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis étant donné qu’Electrolux est domiciliée en Suède. L’article 24, point 4, dudit règlement n’est pas applicable puisque l’action intentée par BSH n’est pas, en soi, « en matière de (…) validité des brevets » au sens de cette disposition. En outre, conformément à l’article 61, deuxième alinéa, de la Patentlagen, lorsque le défendeur fait valoir, dans le cadre d’une telle procédure en contrefaçon, l’invalidité du brevet, la juridiction saisie doit lui ordonner d’introduire une action distincte à cet effet devant les juridictions compétentes. En l’espèce, Electrolux devrait donc engager des procédures en invalidité distinctes devant les juridictions des différents États pour lesquels les brevets étrangers ont été délivrés. Parallèlement, le Patent- och marknadsdomstolen (tribunal de la propriété industrielle et de commerce) pourrait statuer sur la question de la contrefaçon dans un jugement provisoire et ensuite surseoir à statuer dans l’attente d’un jugement définitif dans la procédure en invalidité. Enfin, s’agissant de la partie turque du brevet EP 1 434 512, BSH a fait valoir que l’article 24, point 4, du règlement Bruxelles I bis n’est, en toute hypothèse, pas applicable aux brevets délivrés par des États tiers et qu’il ne peut, dès lors, avoir aucune incidence sur la compétence des juridictions suédoises.

14. Par décision du 21 décembre 2020, le Patent- och marknadsdomstolen (tribunal de la propriété industrielle et de commerce) a rejeté l’action en ce qui concerne la contrefaçon des brevets étrangers. Tandis que, au moment de l’introduction de la procédure, les juridictions suédoises étaient compétentes pour connaître de l’action en vertu de l’article 4, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis, l’article 24, point 4, dudit règlement est devenu applicable lorsqu’Electrolux a invoqué l’invalidité de ces brevets en tant que moyen de défense. En application de cette disposition, les juridictions d’autres États sont seules compétentes pour examiner la question de la validité, et étant donné que cette question est cruciale pour l’issue de l’action en contrefaçon introduite par BSH, la juridiction nationale s’est déclarée incompétente pour connaître de la procédure dans la mesure où les brevets étrangers sont concernés. Cette juridiction s’est également dessaisie en ce qui concerne le brevet turc, estimant que l’article 24, point 4, est l’expression d’un principe de compétence internationalement admis, selon lequel seules les juridictions de l’État qui a délivré un brevet peuvent statuer sur la validité de celui-ci.

15. Par la suite, BSH a interjeté appel de cette décision devant le Svea hovrätt (cour d’appel siégeant à Stockholm), en maintenant que l’article 24, point 4, du règlement Bruxelles I bis n’est pas applicable aux actions en contrefaçon de brevets. Néanmoins, étant donné qu’Electrolux invoque l’invalidité en tant que moyen de défense, la compétence est répartie comme suit : les juridictions suédoises sont compétentes en vertu de l’article 4, paragraphe 1, pour statuer sur la question de la contrefaçon, tandis que la question de la validité doit être tranchée par les juridictions des États d’enregistrement en vertu de l’article 24, point 4. Les juridictions suédoises sont également compétentes en ce qui concerne le brevet turc sur la base de l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement. En effet, la compétence de l’État sur le territoire duquel le défendeur est domicilié est un principe reconnu en droit international. Electrolux a soutenu, pour sa part, que l’article 24, point 4, s’applique aux procédures en contrefaçon dans le cadre desquelles l’invalidité est invoquée en tant que moyen de défense. Les juridictions suédoises ne sont pas compétentes pour connaître de la procédure dans son ensemble étant donné que les questions de contrefaçon et de validité ne peuvent être dissociées.

16. Dans ces conditions, le Svea hovrätt (cour d’appel siégeant à Stockholm) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 24, point 4, [du règlement Bruxelles I bis] doit-il être interprété en ce sens que la formulation “en matière d’inscription ou de validité des brevets (…) que la question soit soulevée par voie d’action ou d’exception” signifie qu’une juridiction nationale qui, en application de l’article 4, paragraphe 1, dudit règlement, s’est déclarée compétente pour connaître d’un litige en matière de contrefaçon de brevet, n’est plus compétente pour statuer sur la question de la contrefaçon si une exception d’invalidité du brevet en cause est soulevée, ou bien cette disposition doit-elle être interprétée en ce sens que la juridiction nationale est incompétente seulement pour connaître de l’exception d’invalidité ?

2) La réponse à la première question dépend-elle de l’existence, en droit national, de dispositions similaires à celles de l’article 61, deuxième alinéa, de la [Patentlagen], qui exigent que, pour que l’exception d’invalidité soulevée dans le cadre d’une action en contrefaçon soit recevable, il faut que le défendeur introduise un recours en invalidité distinct ?

3) L’article 24, point 4, du [règlement Bruxelles I bis] doit-il être interprété comme s’appliquant à l’égard d’une juridiction d’un [État] tiers, c’est-à-dire, en l’espèce, comme conférant également une compétence exclusive à une juridiction turque sur la partie du brevet européen validée en Turquie ? »

Réponse suggérée :

« 1) L’article 24, point 4, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que :

lorsque les juridictions d’un État membre sont saisies d’une procédure relative à la contrefaçon d’un brevet enregistré dans un autre État membre et qu’une exception d’invalidité est soulevée par le supposé contrefacteur, ces juridictions ne sont pas compétentes pour statuer sur la question de la validité.

2) L’article 24, point 4, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens que :

cette disposition ne s’applique pas en ce qui concerne la validité d’un brevet enregistré dans un État tiers. Toutefois, les juridictions des États membres, lorsqu’elles sont compétentes en vertu d’une autre règle de ce règlement, peuvent ne pas statuer sur cette question ».

Source : https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=06F68132D8379BBFFE0F44CEBF222EF7?text=&docid=283062&pageIndex=0&doclang=fr&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=3556417