L’avocat général M. JEAN RICHARD DE LA TOUR a présenté le 28 avril 2022 ses conclusions dans l’affaire C‑604/20 (ROI Land Investments Ltd. contre FD) qui porte sur les règlements Bruxelles I bis et Rome I.
Contexte : « 1. La demande de décision préjudicielle du Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne) porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, de l’article 17, paragraphe 1, de l’article 21, paragraphe 1, sous b), i), ainsi que de l’article 21, paragraphe 2, du règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ainsi que de l’article 6, paragraphe 1, du règlement (CE) n°593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I).
2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant FD, domicilié et travaillant en Allemagne, à la société ROI Land Investments Ltd, établie au Canada, au sujet du refus de cette dernière de payer, au titre d’un accord de garantie conclu entre ces deux parties lors du transfert du contrat de travail de FD à une filiale, la société R Swiss AG, les créances salariales de celui-ci à l’égard de cette société en faillite.
3. Le caractère inédit de ces circonstances, par comparaison avec celles qui ont servi de base à la jurisprudence de la Cour relative à la compétence des juridictions dans des litiges transfrontaliers en matière de contrats de travail, a conduit la juridiction de renvoi à s’interroger, en substance, au regard des règles de compétence protectrices des travailleurs et des consommateurs, sur l’interprétation de la notion d’« employeur » en matière de contrat individuel de travail et de la notion d’« activité professionnelle » en matière de contrat conclu par un consommateur, dont l’une de ces notions pourrait fonder la compétence d’une juridiction allemande ».
Les questions préjudicielles : « 1) Les dispositions combinées de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 21, paragraphe 1, sous b), i), et paragraphe 2, du [règlement n°1215/2012] doivent-elles être interprétées en ce sens qu’un travailleur peut poursuivre une personne morale qui n’est pas son employeur et qui n’est pas domiciliée au sens de l’article 63, paragraphe 1, du règlement n°1215/2012, sur le territoire d’un État membre, mais qui, en vertu d’un accord de garantie, est directement responsable vis-à-vis du travailleur en ce qui concerne les droits découlant d’un contrat individuel de travail conclu avec un tiers, devant la juridiction du lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement ou a accompli dernièrement son travail dans le cadre de la relation de travail avec le tiers si en l’absence d’accord de garantie le contrat de travail avec le tiers n’aurait pas été conclu ?
2) L’article 6, paragraphe 1, du règlement n°1215/2012 doit-il être interprété en ce sens que la réserve relative à l’article 21, paragraphe 2, du règlement n°1215/2012 exclut l’application d’une règle de compétence au titre du droit national de l’État membre qui permet au travailleur de poursuivre une personne morale qui est directement responsable à son égard dans les circonstances décrites dans la première question en ce qui concerne des droits découlant d’un contrat individuel de travail avec un tiers, et ce en tant que “successeur en droit” de l’employeur, devant la juridiction compétente du lieu d’accomplissement habituel du travail, lorsqu’une telle compétence n’existe pas en vertu de l’article 21, paragraphe 2 et paragraphe 1, sous b), i), du règlement n°1215/2012 ?
3) En cas de réponse négative à la première question et de réponse positive à la deuxième question :
a) L’article 17, paragraphe 1, du règlement n°1215/2012 doit-il être interprété en ce sens que la notion d’“activité professionnelle” recouvre l’activité salariée dans le cadre d’une relation de travail ?
b) En cas de réponse positive, l’article 17, paragraphe 1, du règlement n°1215/2012 doit-il être interprété en ce sens qu’un accord de garantie sur la base duquel une personne morale est directement responsable en ce qui concerne les droits d’un travailleur découlant d’un contrat individuel de travail conclu avec un tiers, constitue un contrat conclu à une fin qui peut être imputée à son activité professionnelle ?
4) Si, en conséquence des réponses aux questions qui précèdent, la juridiction de renvoi devait être internationalement compétente pour trancher le litige :
a) L’article 6, paragraphe 1, du [règlement Rome I] doit-il être interprété en ce sens que la notion d’“activité professionnelle” recouvre l’activité salariée dans le cadre d’une relation de travail ?
b) En cas de réponse positive, l’article 6, paragraphe 1, du règlement Rome I doit-il être interprété en ce sens qu’un accord de garantie, sur la base duquel une personne morale est directement responsable vis-à-vis d’un travailleur en ce qui concerne les droits découlant d’un contrat individuel de travail conclu avec un tiers, constitue un contrat que le travailleur a conclu à une fin qui peut être imputée à son activité professionnelle ? ».
Réponse suggérée : « À titre principal : 1) L’article 21, paragraphes 1 et 2, du règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale doit être interprété en ce sens qu’une personne physique ou morale, domiciliée ou non sur le territoire d’un État membre, avec laquelle le travailleur a conclu non pas son contrat de travail, mais un accord faisant partie intégrante de ce contrat, en vertu duquel cette personne est responsable de l’exécution des obligations de l’employeur envers ce travailleur, peut être considérée comme un « employeur », si celle-ci a un intérêt direct à la bonne exécution dudit contrat. L’existence d’un tel intérêt direct doit être appréciée par la juridiction de renvoi de manière globale, en prenant en considération l’ensemble des circonstances de l’espèce.
2) L’article 6, paragraphe 1, du règlement n°1215/2012 doit être interprété en ce sens que l’application des règles de compétence du droit national est exclue lorsque les conditions d’application de l’article 21, paragraphe 2, de ce règlement sont réunies.
À titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la Cour considérerait que le litige ne relève pas du champ d’application de l’article 21, paragraphe 2, du règlement n°1215/2012 :
3) L’article 17, paragraphe 1, du règlement n°1215/2012 et l’article 6, paragraphe 1, du règlement (CE) n°593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) doivent être interprétés en ce sens que la notion d’« activité professionnelle » recouvre une activité salariée dans le cadre d’une relation de travail.
4) L’article 17, paragraphe 1, du règlement n°1215/2012 et l’article 6, paragraphe 1, du règlement n°593/2008 doivent être interprétés en ce sens qu’un accord de garantie, faisant partie intégrante d’un contrat de travail en vertu duquel une personne est responsable de l’exécution des obligations de l’employeur envers le travailleur, relève de la notion d’« activité professionnelle ».
Source : https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=ADF1F7B4D047804EFAF14B57B01E49B2?text=&docid=258504&pageIndex=0&doclang=fr&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=2363685