L’AG M. NICHOLAS EMILIOU sur le règlement Bruxelles II bis

L’avocat général M. NICHOLAS EMILIOU a présenté le 12 janvier 2023 ses conclusions dans l’affaire C‑638/22 PPU (Rzecznik Praw Dziecka e.a.) qui porte sur le règlement Bruxelles II bis.

Les faits et la question préjudicielle : « 13. T.C. (ci-après le « père ») et M.C. (ci-après la « mère »), ressortissants polonais, sont parents de deux enfants, à savoir N., née le 8 juin 2011, et M., né le 1er janvier 2017 (ci-après, ensemble, les « enfants »). La famille a résidé en Irlande pendant plusieurs années. Les enfants y sont nés et ont également la nationalité irlandaise. En outre, les parents ont tous deux un emploi stable dans ce pays, la mère étant néanmoins en congé-maladie de longue durée.

14. Au cours de l’été 2021, la mère est partie, avec l’accord du père, en vacances en Pologne avec les enfants. Au cours du mois de septembre, elle l’a informé qu’elle y resterait de manière permanente. Le père n’a jamais consenti au changement de résidence habituelle des enfants ni, partant, à leur non-retour en Irlande.

15. Le 18 novembre 2021, le père a saisi le Sąd Okręgowy we Wrocławiu (tribunal régional de Wrocław, Pologne) d’une demande de retour des enfants en Irlande, sur le fondement de la convention de La Haye de 1980. La mère est intervenue à la procédure et a conclu au rejet de cette demande. Le Prokurator Okręgowy we Wrocławiu (procureur régional de Wrocław) est intervenu, pour sa part, au soutien de ladite demande.

16. Par une ordonnance du 15 juin 2022, le Sąd Okręgowy we Wrocławiu (tribunal régional de Wrocław) a fait droit à la demande du père. Cette juridiction a considéré, en substance, qu’il y avait bien eu, en l’occurrence, « non-retour illicite d’un enfant », au sens de la convention de La Haye de 1980, et que le motif de non-retour prévu à l’article 13, premier alinéa, sous b), de cette convention, n’était pas applicable. En conséquence, elle a ordonné à la mère d’assurer le retour des enfants en Irlande dans un délai de sept jours à compter de la date à laquelle cette ordonnance deviendrait définitive.

17. Par la suite, la mère a interjeté appel de ladite ordonnance devant le Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie). Le père et le procureur régional de Wrocław ont, pour leur part, conclu au rejet de cet appel.

18. Par une ordonnance du 21 septembre 2022, le Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie) a rejeté le recours. En substance, la juridiction d’appel a confirmé l’appréciation de la juridiction de première instance, notamment en ce qui concerne l’inapplicabilité du motif de non-retour prévu à l’article 13, premier alinéa, sous b), de la convention de La Haye de 1980.

19. L’ordonnance du Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie) est devenue définitive le jour de son prononcé, soit le 21 septembre 2022. L’ordonnance du Sąd Okręgowy we Wrocławiu (tribunal régional de Wrocław) du 15 juin 2022 est également devenue définitive à cette date.

20. Le 28 septembre 2022, le délai de sept jours imparti à la mère, dans l’ordonnance du 15 juin 2022 du Sąd Okręgowy we Wrocławiu (tribunal régional de Wrocław), pour l’exécution volontaire de l’ordonnance définitive de retour a expiré, sans que celle-ci ait assuré le retour des enfants en Irlande.

21. Le 29 septembre 2022, en vue de faire procéder à l’exécution forcée de la décision définitive de retour, le père a introduit, auprès du Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie), une demande tendant à ce que cette juridiction ajoute, à cette ordonnance, une mention relative à sa force exécutoire, et qu’elle lui communique une copie de ladite ordonnance, accompagnée de cette mention.

22. Le 30 septembre 2022, le médiateur des droits des enfants a introduit une demande de suspension de l’exécution des ordonnances des juridictions de première et de deuxième instances en application de l’article 388¹, paragraphe 1, du code de procédure civile. Le 5 octobre 2022, le procureur général a fait de même.

23. Dans ces conditions, le Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

L’article 11, paragraphe 3, du règlement Bruxelles II bis ainsi que l’article 22, l’article 24, l’article 27, paragraphe 6, et l’article 28, paragraphes 1 et 2 du règlement Bruxelles II ter, lus conjointement avec l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après “la Charte”), s’opposent-ils à une disposition de droit national en vertu de laquelle, dans les affaires concernant le retrait d’une personne soumise à l’autorité parentale ou sous tutelle introduites sur le fondement de la convention de La Haye de 1980, l’exécution d’une ordonnance concernant le retrait d’une personne soumise à l’autorité parentale ou sous tutelle est suspendue lorsque le procureur général, le médiateur des droits des enfants ou le médiateur en fait la demande auprès du Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie) dans un délai ne dépassant pas deux semaines à compter du jour où cette ordonnance est devenue définitive ? »

Réponse suggérée : « D’une part, l’article 11, paragraphe 3, du règlement (CE) n°2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) nº 1347/2000, lu en combinaison avec les articles 2 et 11 de la convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, conclue à La Haye le 25 octobre 1980, ainsi que, d’autre part, les articles 7 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doivent être interprétés en ce sens que :

ils s’opposent à une législation nationale emportant suspension de plein droit, sur simple demande non motivée de certaines entités publiques habilitées, de l’exécution d’une décision définitive de retour, prononcée à l’issue de deux instances ordinaires, pendant une première période de deux mois visant à permettre à ces entités de former un recours en cassation et, le cas échéant, pendant toute la durée de ce recours ».

Source : https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=269167&pageIndex=0&doclang=fr&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=41732