L’AG M. ANTHONY M. COLLINS sur le règlement Bruxelles I bis

L’avocat général M. ANTHONY M. COLLINS a présenté le 16 novembre 2023 ses conclusions dans les affaires jointes C‑345/22 à C‑347/22 (Maersk A/S contre Allianz Seguros y Reaseguros SA (C‑345/22 et C‑347/22) et Mapfre España Compañía de Seguros y Reaseguros SA contre MACS Maritime Carrier Shipping GmbH & Co. (C‑346/22)) qui portent sur le règlement Bruxelles I bis.

Les faits des procédures au principal et les questions préjudicielles :

L’affaire C‑345/22. « 9. Maersk Line Perú S.A.C., en qualité de transporteur, et Aguafrost Perú, en qualité de chargeur, ont conclu un contrat de transport maritime de marchandises aux conditions « coût et fret » (ci‑après « CFR »), consigné dans un connaissement délivré le 9 avril 2018. Au verso de ce connaissement figurait une clause attributive de juridiction rédigée dans les termes suivants : « Dans tous les autres cas, le présent connaissement est régi et interprété conformément au droit anglais et tous les différends en découlant sont tranchés par la High Court of Justice [(England & Wales) (United Kingdom)] of London [Haute Cour de justice (Angleterre et Pays de Galles) (Royaume-Uni) de Londres,], la compétence des juridictions d’un autre pays étant exclue. Par ailleurs et à la discrétion du transporteur, ce dernier peut engager une procédure contre le commerçant devant une juridiction compétente du lieu où celui-ci exerce son activité ». Oversea Atlantic Fish SL (ci-après « Oversea »), un fournisseur espagnol de poissons et de fruits de mer, a acquis les marchandises transportées et est ainsi devenue tiers porteur du connaissement.

10. Les marchandises sont arrivées endommagées au port de destination. Allianz, en qualité de compagnie d’assurance subrogée dans les droits d’Oversea, a introduit un recours contre Maersk devant le Juzgado de lo Mercantil no 3 de Pontevedra (tribunal de commerce no 3 de Pontevedra, Espagne), réclamant la somme de 67 449,71 euros à titre de dommages et intérêts.

11. Maersk a contesté la compétence des juridictions espagnoles en se fondant sur la clause attributive de juridiction précitée. Par ordonnance du 26 mai 2020, le Juzgado de lo Mercantil no 3 de Pontevedra (tribunal de commerce no 3 de Pontevedra) a rejeté ce déclinatoire de compétence. Maersk a formé un recours interne contre cette ordonnance devant la même juridiction. Ce recours a été rejeté par ordonnance du 2 décembre 2020.

12. Par jugement du 7 juillet 2021, le Juzgado de lo Mercantil no 3 de Pontevedra (tribunal de commerce no 3 de Pontevedra) a fait droit au recours d’Allianz au fond. Maersk a interjeté appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi, dont le seul objet est de contester la compétence des juridictions espagnoles. Elle a soutenu que, dès lors que l’article 251 LNM est contraire au droit de l’Union, la juridiction de renvoi est tenue d’appliquer l’article 25 du règlement Bruxelles I bis. La clause attributive de juridiction est par conséquent opposable au tiers porteur du connaissement.

13. La juridiction de renvoi se demande si une clause attributive de juridiction telle que celle en cause au principal, dont les parties initiales au contrat sont convenues, est opposable au tiers porteur du connaissement qui n’a pas expressément, individuellement ni séparément consenti à cette clause.

14. La juridiction de renvoi relève que la notion de « clause attributive de juridiction » est une notion autonome du droit de l’Union. Le secteur du transport maritime international recourt fréquemment aux clauses attributives de juridiction, de sorte que, conformément à l’article 25, paragraphe 1, sous c), du règlement Bruxelles I bis, les parties contractantes devaient avoir connaissance de leur existence. Dans ces conditions, l’arrêt du 16 mars 1999, Castelletti, étaye l’existence d’une présomption de consentement de la personne à laquelle on oppose une telle clause. La juridiction de renvoi indique également que les clauses attributives de juridiction sont, de par leur nature, autonomes et séparables. La loi matérielle qui régit ces clauses peut donc relever d’un régime juridique distinct de celui qui régit le reste du contrat. Une clause attributive de juridiction peut ainsi être valide même si le contrat lui-même est considéré comme étant nul.

15. La juridiction de renvoi explique que, dans le cas des connaissements acquis par un tiers qui contiennent une clause attributive de juridiction, l’article 251 LNM renvoie à l’article 468 LNM, qui dispose que les clauses attributives de juridiction sont nulles si elles n’ont pas été négociées individuellement et séparément. La juridiction de renvoi rappelle le principe énoncé par la Cour dans son arrêt du 19 juin 1984, Russ, et réitéré par celle-ci dans son arrêt du 9 novembre 2000, Coreck, selon lequel, « dans la mesure où la clause attributive de juridiction insérée dans un connaissement est valide au sens de l’article 17 de la convention [de Bruxelles] dans le rapport entre le chargeur et le transporteur, elle peut être invoquée à l’égard du tiers porteur du connaissement dès lors que, en vertu du droit national applicable, le porteur du connaissement succède au chargeur dans ses droits et obligations ». La mention, dans ce passage, du « droit national applicable » peut être interprétée comme renvoyant à l’article 251 LNM. Étant donné que, dans ce cas, il aurait été nécessaire que les parties négocient individuellement et séparément la clause attributive de juridiction, la cession des droits au titre du connaissement ne serait pas intégrale. La juridiction de renvoi souhaite donc savoir si l’article 251 LNM est contraire au principe susmentionné.

16. La juridiction de renvoi indique également que le droit national applicable pour déterminer la validité de la clause attributive de juridiction pourrait être celui de l’État auquel cette clause attribue la compétence, en l’occurrence le Royaume-Uni. À l’appui de cette position, elle se réfère à l’article 25, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis et aux arrêts du 3 juillet 1997, Benincasa, et du 18 novembre 2020, DelayFix, dont il ressortirait que la validité au fond d’une clause attributive de juridiction doit être appréciée selon la législation de l’État membre dont les juridictions sont désignées dans cette clause.

17. À supposer que l’article 251 LNM s’applique et qu’il y ait lieu d’examiner si le tiers porteur du connaissement a donné son consentement individuel et séparé à la clause attributive de juridiction, la juridiction de renvoi soulève la question de la forme que doit revêtir ce consentement. Elle estime que cette question est régie par le droit de l’Union et observe que, lorsque les conditions visées à l’article 25, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis sont remplies, un critère de consentement présumé s’applique.

18. Enfin, la juridiction de renvoi s’interroge sur la conformité de l’article 251 LNM à la jurisprudence de la Cour dans la mesure où cette disposition prévoit que la clause attributive de juridiction insérée dans le connaissement est soumise à un droit différent de celui qui régit le transfert de ce connaissement.

19. L’Audiencia Provincial de Pontevedra (cour provinciale de Pontevedra) a donc décidé de surseoir à statuer et de poser les questions préjudicielles suivantes à la Cour de justice :

« 1) La règle visée à l’article 25 du règlement [Bruxelles I bis], qui prévoit que la nullité de la convention attributive de juridiction doit être appréciée conformément au droit de l’État membre auquel les parties ont attribué la compétence, s’applique-t-elle également – dans une situation telle que celle du litige au principal – à la question de la validité de l’extension de la clause à un tiers n’étant pas partie au contrat dans lequel la clause est insérée ?

2) En cas de transfert du connaissement à un tiers destinataire des marchandises qui n’est pas intervenu dans le contrat entre le chargeur et le transporteur maritime, une règle telle que celle figurant à l’article 251 [LNM], qui exige, pour que la clause attributive de juridiction soit opposable à ce tiers, qu’elle ait été négociée avec celui-ci “individuellement et séparément”, est-elle conforme à l’article 25 du règlement [Bruxelles I bis] et à la jurisprudence de la Cour interprétant cette disposition ?

3) Est-il possible, conformément au droit de l’Union, que la législation des États membres prévoie des conditions supplémentaires de validité pour que les clauses attributives de juridiction insérées dans des connaissements produisent effet à l’égard de tiers ?

4) Une règle telle que celle figurant à l’article 251 [LNM] – qui prévoit que la subrogation du tiers porteur n’a lieu que de manière partielle, à l’exclusion des clauses de prorogation de compétence – suppose-t-elle l’introduction d’une condition supplémentaire de validité de telles clauses, contraire à l’article 25 du règlement [Bruxelles I bis] ? »

 L’affaire C346/22. 20. MACS, en qualité de transporteur, et Tunacor Fisheries Ltd, en qualité de chargeur, ont conclu un contrat de transport maritime de marchandises aux conditions CFR, ce contrat ayant été consigné dans un connaissement délivré le 13 avril 2019. Au verso du connaissement figurait la clause attributive de juridiction suivante : « Le présent connaissement est régi par le droit anglais et tous les différends en découlant sont tranchés par la High Court of Justice [(England & Wales)] of London [Haute Cour de justice (Angleterre et Pays de Galles) de Londres] ». La société espagnole Fortitude Shipping SL (ci‑après « Fortitude ») a acquis les marchandises en question et est ainsi devenue tiers porteur de ce connaissement.

21. Les marchandises sont arrivées endommagées au port de destination. Mapfre, en qualité de compagnie d’assurance subrogée dans les droits de Fortitude, a introduit un recours contre MACS devant le Juzgado de lo Mercantil no 3 de Pontevedra (tribunal de commerce no 3 de Pontevedra), réclamant la somme de 80 187,90 euros à titre de dommages et intérêts.

22. MACS a contesté la compétence des juridictions espagnoles en se fondant sur la clause attributive de juridiction précitée. Par ordonnance du 3 mai 2020, le Juzgado de lo Mercantil no 3 de Pontevedra (tribunal de commerce no 3 de Pontevedra) a décliné sa compétence. Mapfre a interjeté appel de cette ordonnance devant la juridiction de renvoi. Elle a soutenu, en se référant à l’article 251 LNM, que la clause attributive de juridiction était inopposable à Fortitude puisque cette dernière n’était pas partie au contrat de transport de marchandises et qu’elle n’avait joué aucun rôle dans l’exécution de ce contrat. MACS a affirmé que, dès lors que l’article 251 LNM est contraire au droit de l’Union, la juridiction de renvoi doit appliquer l’article 25 du règlement Bruxelles I bis, rendant ainsi la clause attributive de juridiction opposable au tiers porteur du connaissement.

23. Éprouvant les mêmes doutes que ceux suscités par l’affaire C‑345/22, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour des questions préjudicielles identiques, en substance, à celles posées dans cette affaire.

L’affaire C347/22. 24. Maersk, en qualité de transporteur, et Aguafrost Perú, en qualité de chargeur, ont conclu un contrat de transport maritime de marchandises aux conditions CFR, ce contrat ayant été consigné dans un connaissement délivré le 2 août 2018. Au verso du connaissement figurait une clause attributive de juridiction rédigée dans des termes identiques à ceux reproduits au point 9 des présentes conclusions. Oversea a acquis les marchandises en question et est ainsi devenue tiers porteur de ce connaissement.

25. Les marchandises sont arrivées endommagées au port de destination. Allianz, en qualité de compagnie d’assurance subrogée dans les droits d’Oversea, a introduit un recours contre Maersk devant le Juzgado de lo Mercantil no 3 de Pontevedra (tribunal de commerce no 3 de Pontevedra), réclamant la somme de 106 093,65 euros à titre de dommages et intérêts.

26. Maersk a contesté la compétence des juridictions espagnoles en se fondant sur la clause attributive de juridiction. Par ordonnance du 20 octobre 2020, le Juzgado de lo Mercantil no 3 de Pontevedra (tribunal de commerce no 3 de Pontevedra) a rejeté ce déclinatoire de compétence.

27. Par jugement du 9 juillet 2021, le Juzgado de lo Mercantil no 3 de Pontevedra (tribunal de commerce no 3 de Pontevedra) a fait droit au recours d’Allianz au fond. Maersk a interjeté appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi en contestant la compétence des juridictions espagnoles. L’article 251 LNM étant contraire au droit de l’Union, la juridiction de renvoi est tenue d’appliquer l’article 25 du règlement Bruxelles I bis, de sorte que la clause attributive de juridiction est opposable au tiers porteur du connaissement.

28. Éprouvant les mêmes doutes que ceux suscités par l’affaire C‑345/22, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour des questions préjudicielles identiques, en substance, à celles posées dans cette affaire ».

Réponse suggérée :

« 1) L’article 25, paragraphe 1, du règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale doit être interprété en ce sens que :

une clause attributive de juridiction convenue entre un transporteur et un chargeur et insérée dans un connaissement est opposable au tiers porteur du connaissement si, en acquérant ce connaissement, il a succédé au chargeur dans ses droits et obligations. Il appartient à la juridiction saisie du litige de répondre à cette question conformément au droit national applicable au fond, tel que déterminé en application des règles de droit international privé de cette juridiction. La règle contenue dans cette disposition, prévoyant que la validité au fond d’une clause attributive de juridiction doit être appréciée selon le droit de l’État membre de la ou des juridictions désignées dans cette clause, ne régit pas le point de savoir si une clause attributive de juridiction insérée dans un connaissement est opposable au tiers porteur de ce connaissement.

2) L’article 25, paragraphe 1, du règlement 1215/2012 doit être interprété en ce sens que :

cette disposition s’oppose à une législation nationale en vertu de laquelle un tiers au contrat de transport maritime de marchandises conclu entre un transporteur et un chargeur, qui acquiert le connaissement consignant ce contrat, est subrogé dans tous les droits et obligations du chargeur, à l’exception de la clause attributive de juridiction insérée dans ce connaissement, qui ne lui est opposable que s’il l’a négociée individuellement et séparément ».

Source : https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=5B432FC00368A84EEF489301A837D1FD?text=&docid=279783&pageIndex=0&doclang=FR&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=1032101

La CJUE sur le règlement Bruxelles I bis

La Cour de justice a rendu le 16 novembre 2023 sa décision dans l’affaire C‑497/22 (EM contre Roompot Service BV) qui porte sur le règlement Bruxelles I bis.

« L’article 24, point 1, premier alinéa, du règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que :

ne relève pas de la notion de « baux d’immeubles », au sens de cette disposition, un contrat conclu entre un particulier et un professionnel du tourisme par lequel ce dernier met à disposition un logement de vacances pour un usage personnel de courte durée, situé dans un parc de vacances exploité par ce professionnel, et qui comporte, en sus de la cession de l’usage de ce logement, un ensemble de prestations de services fournies contre un prix global ».

Source : https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=5B432FC00368A84EEF489301A837D1FD?text=&docid=279761&pageIndex=0&doclang=FR&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=1032101

La CJUE sur la directive 93/13

La Cour de justice a rendu le 9 novembre 2023 sa décision dans l’affaire C‑598/21 (SP, CI contre Všeobecná úverová banka a.s.) qui porte sur la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs.

« L’article 3, paragraphe 1, l’article 4, paragraphe 1, l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière des articles 7 et 38 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doivent être interprétés en ce sens que :

ils s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle le contrôle juridictionnel du caractère abusif d’une clause de déchéance du terme contenue dans un contrat de crédit à la consommation ne tient pas compte du caractère proportionné de la faculté laissée au professionnel d’exercer le droit qu’il tire de cette clause, au regard de critères liés notamment à l’importance du manquement du consommateur à ses obligations contractuelles, tels que le montant des échéances qui n’ont pas été honorées par rapport au montant total du crédit et à la durée du contrat, ainsi qu’à la possibilité que la mise en œuvre de cette clause conduise à ce que le professionnel puisse procéder au recouvrement des sommes dues au titre de ladite clause par la vente, en dehors de tout processus judiciaire, du logement familial du consommateur ».

Source : https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=F1A70A27D5ADEDDA72E937CA51E5B0E6?text=&docid=279485&pageIndex=0&doclang=fr&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=1265622