L’avocat général CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA a présenté la semaine dernière (le 22 avril 2021) ses conclusions dans les affaires jointes C‑152/20 (DG, EH contre SC Gruber Logistics SRL) et C‑218/20 (Sindicatul Lucrătorilor din Transporturi, TD contre SC Samidani Trans SRL), qui portent sur le choix de loi en matière de contrats individuels de travail.
Les faits dans l’affaire C‑152/20 : « 13. DG et EH, des chauffeurs routiers résidant en Roumanie, ont conclu des contrats individuels de travail avec l’entreprise SC Gruber Logistics SRL, établie elle aussi en Roumanie.
14. Les contrats, rédigés tant en roumain qu’en italien, prévoyaient que leurs clauses soient complétées par les dispositions du code du travail roumain.
15. Quant au lieu de travail, les contrats prévoyaient que l’activité serait exercée au siège d’Oradea (Roumanie) ou à toute autre adresse, située dans ce pays ou à l’étranger, où les services seraient requis.
16. DG et EH soutiennent que, bien que leurs contrats aient été conclus en Roumanie, ils ont habituellement exercé leurs fonctions en Italie, pays à partir duquel ils effectuaient leurs missions. Une fois celles-ci accomplies, ils y retournaient, et recevaient leurs instructions et effectuaient la plupart de leurs tâches de transport dans ce pays.
17. Ils estiment donc que la législation italienne sur le salaire minimal devrait leur être appliquée, conformément à l’article 8 du règlement Rome I.
18. L’entreprise employeuse conteste ces demandes en faisant valoir que les deux chauffeurs ont travaillé à son service au volant de camions immatriculés en Roumanie et sur la base de licences de transport délivrées conformément à la législation roumaine. Elle ajoute qu’elle a elle‑même donné toutes les instructions et que l’activité des requérants a été organisée en Roumanie. Les contrats de travail en cause devraient donc être soumis au droit roumain ».
Les questions préjudicielles dans l’affaire C‑152/20 : « 19. C’est dans ce contexte que le Tribunalul Mureș (tribunal de grande instance de Mureș, Roumanie) pose à la Cour les questions suivantes :
1) L’article 8 du règlement [Rome I] doit-il être interprété en ce sens que le choix de la loi applicable au contrat individuel de travail écarte l’application de la loi du pays dans lequel le salarié a accompli habituellement son travail ou [que] l’existence d’un choix de la loi applicable écarte l’application de l’article 8, paragraphe l, seconde phrase, dudit règlement ?
2) L’article 8 du règlement [Rome I] doit-il être interprété en ce sens que le salaire minimal applicable dans le pays où le salarié a accompli habituellement son travail constitue un droit qui relève des « dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui, à défaut de choix, aurait été applicable », au sens de l’article 8, paragraphe 1, seconde phrase, dudit règlement ?
3) L’article 3 du règlement [Rome I] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que l’indication dans le contrat individuel de travail des dispositions du code du travail roumain revienne à choisir la loi roumaine, alors qu’il est notoire en Roumanie qu’il existe l’obligation légale d’insérer cette clause relative au choix dans le contrat individuel de travail ? En d’autres termes, l’article 3 du règlement [Rome I] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des réglementations et à des pratiques nationales consistant à inclure obligatoirement dans les contrats individuels de travail la clause relative au choix de la loi roumaine ? »
Les faits dans l’affaire C‑218/20 :« 20. TD, membre du syndicat Sindicatul Lucrătorilor din Transporturi, a été embauché par la société SC Samidani Trans SRL en qualité de chauffeur routier pour exercer son activité sur le territoire de l’Union européenne.
21. Le contrat individuel de travail, conclu en Roumanie, ne mentionnait pas explicitement le lieu où le travailleur exercerait son activité.
22. Selon ses clauses, « les dispositions du présent contrat individuel de travail sont complétées par les dispositions de la loi no 53/2003 portant code du travail et par celles de la convention collective applicable au niveau d’établissement/branche [et] les conflits liés à la conclusion, à l’exécution, à la modification, à la suspension ou à la cessation du présent contrat individuel de travail sont tranchés par la juridiction matériellement et territorialement compétente, conformément à la loi ».
23. Le syndicat demande la condamnation de l’entreprise employeuse à verser à DT la différence entre le salaire qu’il a réellement perçu et le salaire minimal auquel il aurait eu droit en vertu de la législation allemande. En outre, il indique que DT a droit au paiement des salaires afférents aux « treizième » et « quatorzième » mois prévus par la législation allemande.
24. Dans la requête, il est soutenu que les règles allemandes sur ces questions sont applicables au contrat de travail de DT en application de l’article 8 du règlement Rome I. Si le contrat individuel de travail a été conclu en Roumanie, c’est bien en Allemagne que l’employé aurait normalement accompli ses fonctions et aurait reçu des instructions. En outre, les camions qu’il utilisait étaient stationnés en Allemagne et les missions de transport étaient effectuées à l’intérieur des frontières allemandes.
25. L’entreprise défenderesse fait valoir que les parties ont spécifiquement prévu que la loi applicable au contrat individuel de travail était la loi roumaine ».
Les questions préjudicielles dans l’affaire C‑218/20 :« 26. Dans ce contexte, la même juridiction adresse à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
1) Le choix de la loi applicable au contrat individuel de travail écarte-t-il l’application de la loi du pays dans lequel le salarié a accompli habituellement son travail ou l’existence d’un choix de la loi applicable écarte-t-elle l’application de l’article 8, paragraphe l, seconde phrase, [du règlement Rome I] ?
2) Le salaire minimal applicable dans le pays où le salarié a accompli habituellement son travail constitue-t-il un droit qui relève des « dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui, à défaut de choix, aurait été applicable », au sens de l’article 8, paragraphe 1, seconde phrase, [du règlement Rome I] ?
3) L’indication dans le contrat individuel de travail des dispositions du code du travail roumain revient-elle à choisir la loi roumaine, alors qu’il est notoire en Roumanie que l’employeur préétablit le contenu du contrat individuel de travail ?
Conclusions :« 1) L’article 8 du règlement (CE) no 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) doit être interprété en ce sens que, lorsque la loi régissant le contrat individuel de travail a été choisie, il y a lieu d’exclure les autres lois qui, à défaut de choix, auraient été applicables en vertu des paragraphes 2, 3 ou 4 de cet article, pourvu que la première offre au travailleur un niveau de protection égal ou supérieur à celui assuré par les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord de la loi qui aurait été appliquée en l’absence de choix.
2) Les règles relatives au salaire minimal du pays où le travailleur salarié a exercé habituellement son activité peuvent, en principe, être qualifiées de « dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui, à défaut de choix, aurait été applicable », au sens de l’article 8, paragraphe 1, seconde phrase, du règlement no 593/2008. La primauté de ces règles dépendra de leur configuration dans l’ordre juridique de référence, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
3) Les articles 3 et 8 du règlement no 593/2008 doivent être interprétés en ce sens que le choix, explicite ou implicite, de la loi applicable à un contrat individuel de travail doit être libre pour les deux parties, ce qui n’est pas le cas lorsqu’une disposition nationale impose d’insérer dans ce contrat une clause de choix de la loi. Ces articles n’empêchent toutefois pas qu’une telle clause soit préalablement rédigée dans le contrat par décision de l’employeur, à laquelle le travailleur donne son consentement ».
Source : https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=240242&pageIndex=0&doclang=fr&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=11480952