L’AG M. NICHOLAS EMILIOU sur le règlement Bruxelles I bis

L’avocat général M. NICHOLAS EMILIOU a présenté le 22 février 2024 ses conclusions dans l’affaire C‑339/22 (BSH Hausgeräte GmbH contre Electrolux AB) qui porte sur le règlement Bruxelles I bis.

Les faits, le litige et les questions préjudicielles.

9. BSH Hausgeräte GmbH (ci-après « BSH ») est titulaire du brevet européen EP 1 434 512, protégeant une invention dans le domaine des aspirateurs, délivré pour (et, par conséquent, validé en) Autriche, en Allemagne, en Espagne, en France, en Grèce, en Italie, aux Pays-Bas, en Suède, en Turquie et au Royaume-Uni.

10. Le 3 février 2020, BSH a intenté une action contre Aktiebolaget Electrolux (ci-après « Electrolux »), une société de droit suédois, devant le Patent- och marknadsdomstolen (tribunal de la propriété industrielle et de commerce, Suède). Cette action est fondée sur la prétendue contrefaçon par Electrolux du brevet EP 1 434 512 dans les différents États pour lesquels il avait été délivré. Dans ce contexte, BSH cherche à obtenir, entre autres, une ordonnance interdisant à Electrolux de continuer à utiliser l’invention brevetée dans tous ces États, ainsi qu’une indemnisation pour le dommage causé par cette utilisation illicite.

11. Dans son mémoire en défense, Electrolux a fait valoir que le Patent- och marknadsdomstolen (tribunal de la propriété industrielle et de commerce) devrait rejeter cette action dans la mesure où elle concerne les parties allemande, autrichienne, britannique, espagnole, française, grecque, italienne, néerlandaise et turque du brevet EP 1 434 512 (ci-après les « brevets étrangers »). À cet égard, Electrolux a invoqué, entre autres, l’invalidité des brevets étrangers.

12. En outre, Electrolux a fait valoir que, à la lumière de ce moyen de défense, les juridictions suédoises ne sont pas compétentes pour connaître de la procédure en contrefaçon dans la mesure où les brevets étrangers sont concernés. À cet égard, la procédure en contrefaçon devrait être considérée comme étant « en matière de (…) validité des brevets » au sens de l’article 24, point 4, du règlement Bruxelles I bis et, en vertu de cette disposition, les juridictions des différents États membres dans lesquels ces brevets ont été validés sont seules compétentes pour connaître de l’affaire dans la mesure où ‘leur’ brevet est concerné.

13. En réponse, BSH a fait valoir que les juridictions suédoises sont compétentes pour connaître de la procédure en contrefaçon en vertu de l’article 4, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis étant donné qu’Electrolux est domiciliée en Suède. L’article 24, point 4, dudit règlement n’est pas applicable puisque l’action intentée par BSH n’est pas, en soi, « en matière de (…) validité des brevets » au sens de cette disposition. En outre, conformément à l’article 61, deuxième alinéa, de la Patentlagen, lorsque le défendeur fait valoir, dans le cadre d’une telle procédure en contrefaçon, l’invalidité du brevet, la juridiction saisie doit lui ordonner d’introduire une action distincte à cet effet devant les juridictions compétentes. En l’espèce, Electrolux devrait donc engager des procédures en invalidité distinctes devant les juridictions des différents États pour lesquels les brevets étrangers ont été délivrés. Parallèlement, le Patent- och marknadsdomstolen (tribunal de la propriété industrielle et de commerce) pourrait statuer sur la question de la contrefaçon dans un jugement provisoire et ensuite surseoir à statuer dans l’attente d’un jugement définitif dans la procédure en invalidité. Enfin, s’agissant de la partie turque du brevet EP 1 434 512, BSH a fait valoir que l’article 24, point 4, du règlement Bruxelles I bis n’est, en toute hypothèse, pas applicable aux brevets délivrés par des États tiers et qu’il ne peut, dès lors, avoir aucune incidence sur la compétence des juridictions suédoises.

14. Par décision du 21 décembre 2020, le Patent- och marknadsdomstolen (tribunal de la propriété industrielle et de commerce) a rejeté l’action en ce qui concerne la contrefaçon des brevets étrangers. Tandis que, au moment de l’introduction de la procédure, les juridictions suédoises étaient compétentes pour connaître de l’action en vertu de l’article 4, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis, l’article 24, point 4, dudit règlement est devenu applicable lorsqu’Electrolux a invoqué l’invalidité de ces brevets en tant que moyen de défense. En application de cette disposition, les juridictions d’autres États sont seules compétentes pour examiner la question de la validité, et étant donné que cette question est cruciale pour l’issue de l’action en contrefaçon introduite par BSH, la juridiction nationale s’est déclarée incompétente pour connaître de la procédure dans la mesure où les brevets étrangers sont concernés. Cette juridiction s’est également dessaisie en ce qui concerne le brevet turc, estimant que l’article 24, point 4, est l’expression d’un principe de compétence internationalement admis, selon lequel seules les juridictions de l’État qui a délivré un brevet peuvent statuer sur la validité de celui-ci.

15. Par la suite, BSH a interjeté appel de cette décision devant le Svea hovrätt (cour d’appel siégeant à Stockholm), en maintenant que l’article 24, point 4, du règlement Bruxelles I bis n’est pas applicable aux actions en contrefaçon de brevets. Néanmoins, étant donné qu’Electrolux invoque l’invalidité en tant que moyen de défense, la compétence est répartie comme suit : les juridictions suédoises sont compétentes en vertu de l’article 4, paragraphe 1, pour statuer sur la question de la contrefaçon, tandis que la question de la validité doit être tranchée par les juridictions des États d’enregistrement en vertu de l’article 24, point 4. Les juridictions suédoises sont également compétentes en ce qui concerne le brevet turc sur la base de l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement. En effet, la compétence de l’État sur le territoire duquel le défendeur est domicilié est un principe reconnu en droit international. Electrolux a soutenu, pour sa part, que l’article 24, point 4, s’applique aux procédures en contrefaçon dans le cadre desquelles l’invalidité est invoquée en tant que moyen de défense. Les juridictions suédoises ne sont pas compétentes pour connaître de la procédure dans son ensemble étant donné que les questions de contrefaçon et de validité ne peuvent être dissociées.

16. Dans ces conditions, le Svea hovrätt (cour d’appel siégeant à Stockholm) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 24, point 4, [du règlement Bruxelles I bis] doit-il être interprété en ce sens que la formulation “en matière d’inscription ou de validité des brevets (…) que la question soit soulevée par voie d’action ou d’exception” signifie qu’une juridiction nationale qui, en application de l’article 4, paragraphe 1, dudit règlement, s’est déclarée compétente pour connaître d’un litige en matière de contrefaçon de brevet, n’est plus compétente pour statuer sur la question de la contrefaçon si une exception d’invalidité du brevet en cause est soulevée, ou bien cette disposition doit-elle être interprétée en ce sens que la juridiction nationale est incompétente seulement pour connaître de l’exception d’invalidité ?

2) La réponse à la première question dépend-elle de l’existence, en droit national, de dispositions similaires à celles de l’article 61, deuxième alinéa, de la [Patentlagen], qui exigent que, pour que l’exception d’invalidité soulevée dans le cadre d’une action en contrefaçon soit recevable, il faut que le défendeur introduise un recours en invalidité distinct ?

3) L’article 24, point 4, du [règlement Bruxelles I bis] doit-il être interprété comme s’appliquant à l’égard d’une juridiction d’un [État] tiers, c’est-à-dire, en l’espèce, comme conférant également une compétence exclusive à une juridiction turque sur la partie du brevet européen validée en Turquie ? »

Réponse suggérée :

« 1) L’article 24, point 4, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que :

lorsque les juridictions d’un État membre sont saisies d’une procédure relative à la contrefaçon d’un brevet enregistré dans un autre État membre et qu’une exception d’invalidité est soulevée par le supposé contrefacteur, ces juridictions ne sont pas compétentes pour statuer sur la question de la validité.

2) L’article 24, point 4, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens que :

cette disposition ne s’applique pas en ce qui concerne la validité d’un brevet enregistré dans un État tiers. Toutefois, les juridictions des États membres, lorsqu’elles sont compétentes en vertu d’une autre règle de ce règlement, peuvent ne pas statuer sur cette question ».

Source : https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=06F68132D8379BBFFE0F44CEBF222EF7?text=&docid=283062&pageIndex=0&doclang=fr&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=3556417

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