L’AG M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA sur le règlement Bruxelles II bis

L’avocat général M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA a présenté le 8 février 2024 ses conclusions dans l’affaire C‑35/23 (Greislzel) qui porte sur le règlement Bruxelles II bis.

Les faits, le litige et les questions préjudicielles.

11.      En mars 2013, les parents de L (le père est de nationalité allemande et la mère, polonaise) se sont mariés en Allemagne, pays dans lequel ils ont initialement vécu.

12.      En juin 2013, le père a déménagé en Suisse pour des raisons professionnelles. L est née le 12 novembre 2014 en Suisse et possède les nationalités allemande et polonaise.

13.      De janvier 2015 à début avril 2016, L a vécu avec sa mère en Allemagne. Le père rendait régulièrement visite à la mère et à leur fille commune en Allemagne ; ils passaient également des vacances ensemble.

14.      Le 9 avril 2016, la mère a déménagé en Pologne avec L. Dans un premier temps, le père rendait visite à L en Pologne.

15.      À partir du 17 avril 2017, la mère a refusé que le père ait des contacts avec L et a inscrit cette dernière, sans le consentement du père, dans un jardin d’enfants en Pologne.

16.      Fin mai 2017, la mère a informé le père qu’elle et L restaient vivre en Pologne.

17.      Le 7 juillet 2017, le père a demandé aux juridictions polonaises, par l’intermédiaire de l’autorité centrale suisse (Office fédéral de justice de Berne, Suisse), le retour de L en Suisse.

18.      Le 8 décembre 2017, le Sąd Rejonowy Krakowa-Nowej Huty (tribunal d’arrondissement de Cracovie – Nowa Huta, Pologne) a rejeté la demande de retour présentée par le père, au motif que celui-ci avait donné son consentement au déménagement de L avec sa mère en Pologne pour une durée indéterminée et qu’il existait en outre un risque grave pour le bien-être de L en cas de retour au sens de l’article 13, sous b), de la convention de La Haye de 1980.

19.      L’appel interjeté par le père contre cette décision a été rejeté par le Sąd Okręgowy Krakowa (tribunal régional de Cracovie, Pologne) le 17 avril 2018.

20.      La mère a engagé une procédure de divorce en Pologne par requête du 27 septembre 2017. Le 5 juin 2018, le Sąd Okręgowy Krakowa (tribunal régional de Cracovie) a confié provisoirement à la mère la garde de l’enfant commun et a fixé l’obligation de pension alimentaire du père.

21.      Le 29 juin 2018, le père a introduit une demande de retour de L auprès du Bundesamt für Justiz in Bonn (Office fédéral de la justice de Bonn, Allemagne) sur le fondement de la convention de La Haye de 1980, demande à laquelle il n’a pas donné suite.

22.      Le 13 juillet 2018, le père a saisi l’Amtsgericht Frankfurt am Main (tribunal de district de Francfort-sur-le-Main, Allemagne) du litige à l’origine de la demande de décision préjudicielle. Dans son recours devant cette juridiction, déposé le 13 juillet 2018, il a demandé :

–      à titre principal (point I de ses conclusions), la garde exclusive de L et, à titre subsidiaire, le droit de fixer la résidence de celle-ci ;

–      en outre (point II de ses conclusions), que la mère soit tenue de renvoyer L en Suisse à compter de l’entrée en vigueur de la décision.

23.      Dans le cadre du litige au principal :

–      le père a fait valoir que les parents étaient convenus, en 2015, qu’ils vivraient tous les deux à l’avenir avec L en Suisse. En avril 2016, la mère aurait décidé de déménager temporairement en Pologne. Le père aurait donné son consentement, mais en limitant expressément le temps de séjour en Pologne ;

–      la mère a contesté ces affirmations. Elle a affirmé que le père avait consenti à ce que L se rende en Pologne, les deux parents n’ayant pas décidé que ce déplacement serait limité dans le temps. Ils ne seraient pas non plus convenus d’un (futur) déménagement en Suisse.

24.      Le 3 juin 2019, l’Amtsgericht Frankfurt am Main (tribunal de district de Francfort-sur-le-Main) a rejeté la demande du père pour défaut de compétence judiciaire internationale. Selon cette juridiction, le père n’a pas prouvé l’existence d’un accord concret sur le caractère temporaire du séjour de L en Pologne. Les informations que le père a fournies lors de l’audience du 9 mai 2019 contredisent ce qu’il a affirmé dans son mémoire du 3 août 2018, dont il ressort que, en mai 2017, les parents négociaient encore la durée du séjour en Pologne.

25.      Le 8 juillet 2019, le père a interjeté appel du jugement de première instance devant l’Oberlandesgericht Frankfurt am Main (tribunal régional supérieur de Francfort-sur-le-Main, Allemagne). Dans le cadre de cet appel, il a réitéré les arguments avancés en première instance et il a fait valoir que :

–      la compétence de la juridiction de première instance découle de l’article 11, paragraphe 6, lu en combinaison avec le paragraphe 7, ainsi que de l’article 10 du règlement no 2201/2003. Dans sa décision du 8 décembre 2017, le Sąd Rejonowy Krakowa-Nowej Huty (tribunal d’arrondissement de Cracovie, Nowa Huta) a indiqué que, avant son déplacement en Pologne, la résidence de L se trouvait non pas en Suisse, mais en Allemagne ;

–      dans un tel cas de figure, les principes qui gouvernent la procédure au titre de la convention de La Haye de 1980 s’appliquent. Conformément à ceux-ci, la personne qui s’oppose au retour de l’enfant doit prouver que le titulaire de la garde (conjointe) a consenti au déplacement ou au non‑retour de l’enfant ou les a autorisés a posteriori. La mère n’aurait pas apporté la preuve du consentement paternel pour un déménagement à durée indéterminée.

26.      Le père a, en outre, sollicité l’introduction d’une demande de décision préjudicielle ; l’Oberlandesgericht Frankfurt am Main (tribunal régional supérieur de Francfort-sur-le-Main) a fait droit à cette requête et a saisi la Cour des questions suivantes :

« Dans quelle mesure le mécanisme réglementaire prévu aux articles 10 et 11 du règlement [no 2201/2003] est-il limité aux procédures entre États membres de l’Union ?

Plus précisément :

1)      L’article 10 du règlement [no 2201/2003] trouve-t-il à s’appliquer, avec pour conséquence un maintien de la compétence des juridictions de l’ancien État de résidence, lorsque l’enfant avait sa résidence habituelle dans un État membre de l’Union (Allemagne) avant son déplacement et que la procédure de retour au titre de la convention de La Haye [de 1980] a été menée entre un État membre de l’Union (Pologne) et un État tiers (Suisse), le retour de l’enfant ayant été refusé dans le cadre de cette procédure ?

En cas de réponse affirmative à la première question :

2)      Dans le cadre de l’article 10, sous b) i), du règlement [no 2201/2003], quelles sont les exigences à remplir pour établir le maintien de la compétence [des juridictions de l’ancien État de résidence] ?

3)       L’article 11, paragraphes 6 à 8, du règlement [no 2201/2003] trouve-t-il à s’appliquer également lors de la mise en œuvre d’une procédure de retour en vertu de la convention de la Haye entre un État tiers et un État membre de l’Union en tant qu’État dans lequel l’enfant a été déplacé, dans la mesure où celui-ci avait sa résidence habituelle dans un autre État membre de l’Union avant son déplacement ? »

Réponse suggérée :

« L’article 10 du règlement (CE) no 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) no 1347/2000, doit être interprété en ce sens que :

– une demande, introduite au titre de la convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants de 1980, tendant au retour de l’enfant dans un État qui n’est pas celui où l’enfant avait sa résidence habituelle avant le déplacement ne saurait être qualifiée de « demande de retour » au sens de l’article 10, sous b), i), du règlement no 2201/2003 ;

– une fois que le lieu où se trouve l’enfant est (ou devrait être) connu, la compétence internationale des juridictions de l’État membre dans lequel cet enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement illicite n’est pas maintenue si, pour autant qu’il soit satisfait aux autres conditions prévues à l’article 10, sous b), i), du règlement no 2201/2003, le titulaire d’un droit de garde engage une procédure en matière de garde devant ces juridictions, mais non une demande de retour auprès des autorités de l’État membre dans lequel l’enfant a été déplacé ;

– les affirmations factuelles réalisées dans le cadre d’une procédure de retour de l’enfant introduite au titre de la convention de La Haye de 1980 ne lient pas nécessairement le juge appelé à statuer si la juridiction d’un État membre est compétente dans le cadre d’une procédure ultérieure de garde.

– la règle en matière de charge de la preuve prévue à l’article 13 de la convention de La Haye de 1980 ne s’applique pas aux faits invoqués en tant que fondement de la compétence judiciaire internationale pour une demande de garde ».

Source : https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=C3DDBBA5E547ACAEB77C3F8BE4F9EF93?text=&docid=282593&pageIndex=0&doclang=fr&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=1403532

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